Diego Delbecq et Camille Pailleau en font partie. Lui, chef cuisinier originaire du Nord, elle, cheffe pâtissière passée par les maisons les plus prestigieuses, ont uni leurs talents pour créer ROZÓ. Né à Lille en 2017 d’un rêve commun, ce restaurant, qui a déménagé à Marcq-en-Baroeil en 2022, est devenu en quelques années une référence, jusqu’à décrocher une deuxième étoile Michelin en 2025. Dans cette interview, ils reviennent avec générosité sur leur parcours, la genèse de leur projet, leur vision d’une cuisine exigeante mais ouverte à tous, et les défis quotidiens d’un métier qu’ils vivent avec passion et humilité.

©Jordan Sapally
Diego Delbecq et Camille Pailleau : deux étoiles accessibles à Marcq-en-Baroeul
Dans l’univers exigeant de la haute gastronomie, rares sont les chefs qui parviennent à conjuguer excellence, sincérité et accessibilité.
Pouvez-vous nous raconter l’histoire de Rozo ? Comment ce projet a-t-il vu le jour et quelle a été votre vision initiale ?
Nous avons créé ROZÓ après plusieurs années passées dans des palaces parisiens et des restaurants étoilés. Avec Diego, on avait envie de changer de vie, d’avoir un meilleur équilibre tout en continuant à travailler avec la même intensité, mais pour notre propre compte. Diego, originaire du Nord, a rapidement proposé Lille, une ville qui nous semblait idéale à la fois professionnellement et personnellement.
On a démarré avec des moyens limités, nos économies et un crowdfunding auprès de nos proches. On a proposé des contreparties comme des cours de cuisine, des repas ou des totebags. Aujourd’hui, ça paraît loin, et pourtant ça ne fait que huit ans.
L’idée était de créer un restaurant de quartier, accessible, où la qualité des produits serait au cœur de notre démarche, tout en apportant la rigueur qu’on avait apprise dans nos expériences étoilées. Très vite, le bouche-à-oreille a fonctionné et on a eu une clientèle fidèle, venant de Lille, de Belgique, et même d’Angleterre pour un weekend gastronomique.
Comment décririez-vous l’évolution de Rozo depuis son ouverture ? Quels ont été les moments décisifs dans cette aventure ?
L’évolution a été rapide. À peine un an et demi après l’ouverture, on a eu la chance d’obtenir une étoile Michelin, ce qui nous a vraiment propulsés et fait connaître. À ce moment-là, on a commencé à réfléchir à la possibilité de nous agrandir, car notre premier restaurant était super, mais l’espace nous limitait un peu dans nos ambitions.
Puis le COVID est arrivé, et ça a été un moment de réinvention. On a ouvert une boutique en ligne, proposé des menus à emporter pour maintenir l’activité, malgré l’équipe réduite. Après ça, on a cherché un nouveau lieu. On est tombés sur un ancien bâtiment d’imprimerie qui correspondait exactement à ce qu’on voulait : plus grand, plus confortable et plus fonctionnel. C’était un vrai tournant, car ça nous a permis de réinventer notre projet avec plus de liberté.
Que représente cette deuxième étoile Michelin pour vous ?
La deuxième étoile, c’est un peu la consécration d’années de travail acharné. Depuis qu’on a rouvert dans notre nouveau lieu, on a continué à perfectionner notre cuisine, à affiner notre service, avec toujours l’idée d’aller plus loin. Certes, la deuxième étoile est un aboutissement, mais ce n’est pas un moment où l’on se repose. Elle nous pousse à redoubler d’efforts, à constamment repousser nos limites et à offrir une expérience encore plus raffinée à nos clients.
Vous dites souvent que vous ne souhaitez pas être perçus comme un restaurant élitiste. Comment vous assurez-vous que l’expérience reste agréable et accessible pour tous ?
C’est vraiment essentiel pour nous de rester accessibles. On reste présent à chaque service, on discute avec nos clients, on écoute leurs retours, que ce soit des compliments ou des critiques. Nos prix sont aussi un moyen d’offrir une expérience de qualité sans qu’elle soit hors de portée pour tout le monde. Par exemple, on propose un menu à 59 € le midi, ce qui permet à plus de gens de découvrir notre cuisine.
On veille à ce que le service soit à la fois attentif et discret, et le restaurant est conçu de manière à ce que tout le monde se sente à l’aise, peu importe son expérience gastronomique ou son statut. On a souvent des retours de clients qui n’avaient pas l’habitude des restaurants étoilés, mais qui se sont sentis bien chez nous, sans aucune pression.
Comment définiriez-vous la cuisine du Rozo ? Quelles sont vos principales inspirations ?
Notre cuisine est technique, mais pas dans un sens clinquant ou ostentatoire. C’est une cuisine où chaque élément de l’assiette est pensé avec précision : la cuisson, l’assaisonnement, l’équilibre des saveurs. On travaille des sauces légères, mais très savoureuses, et on cherche constamment à trouver le bon équilibre dans chaque plat.
Nos inspirations viennent des classiques de la haute gastronomie, mais on aime aussi sortir des sentiers battus et intégrer des produits plus simples ou moins conventionnels, qu’on transforme avec soin. Des assaisonnements vifs et percutants, de la fraîcheur, mais toujours équilibrés.
Quels produits privilégiez-vous dans votre cuisine ? Avez-vous une relation particulière avec certains producteurs ou producteurs locaux ?
Travailler avec des producteurs locaux, c’est important bien que nous ne soyons pas des « aficionados » de l’ultra-local. On privilégie les produits français, de saison, et issus d’une agriculture responsable. Depuis des années, on a noué de véritables liens de confiance avec des producteurs de la région, et d’autres : fermiers, éleveurs, mareyeurs, vignerons… Cela nous permet de mieux comprendre leur travail et d’adapter notre cuisine en fonction de ce qu’ils nous proposent. C’est cette relation directe qui enrichit notre cuisine.
Votre menu change-t-il souvent ? Quelle place occupe la saisonnalité dans vos choix de plats ?
Le menu change régulièrement, en fonction des arrivages et des idées de l’équipe. C’est important pour nous de rester flexibles et d’être à l’écoute des saisons. Parfois, un plat reste plusieurs semaines sur la carte avant d’être subtilement modifié, puis remplacé par une nouvelle création. Et chacun peut y participer !
Il semble que vous souhaitiez proposer une expérience sensorielle complète. Comment travaillez-vous l’aspect visuel, olfactif et gustatif de vos plats ?
Chaque plat est pensé dans sa globalité : la couleur, la texture, l’odeur, la sensation en bouche… Tout compte. Ce n’est pas qu’une question de visuel, mais surtout d’émotion. Parfois, un plat peut évoquer un souvenir d’enfance, un parfum familier, ou un contraste inattendu. Ce sont ces petites choses qui créent une expérience plus personnelle pour le client.
Quelles sont les valeurs que vous souhaitez transmettre à vos collaborateurs et aux clients qui viennent au Rozo ?
La rigueur, le respect du produit, de l’équipe et du client. Le sens du détail, mais aussi l’humilité : on fait les choses par amour du métier, pas pour briller. La transmission est aussi une valeur clé pour nous : donner envie à nos jeunes collaborateurs d’apprendre, d’être curieux et de progresser. Bien sûr, l’exigence est présente, mais toujours dans un esprit bienveillant.
Quels sont vos projets pour l’avenir du Rozo ? Y a-t-il de nouvelles directions ou innovations que vous souhaitez explorer ?
On souhaite surtout consolider ce qu’on a construit. Faire grandir l’équipe, améliorer encore l’expérience client, et développer de nouveaux axes (autour du pain, de la cave, d’accords mets-boissons sans alcool ; par exemple). On est aussi très attachés à préserver un équilibre personnel, ce qui peut être un défi dans notre métier. Si un nouveau projet se présente, il devra avoir du sens et être cohérent avec notre philosophie.
Pour vous, quels sont les défis à venir dans l’industrie de la restauration haut de gamme et comment comptez-vous y répondre ?
Le principal défi, c’est de continuer à offrir une expérience d’excellence tout en restant humainement et financièrement accessible. Les coûts explosent, entre les matières premières, l’énergie, les salaires… Trouver l’équilibre entre rentabilité et qualité devient de plus en plus difficile en tant que chefs propriétaires. Il faut aussi savoir s’adapter, remettre en question nos pratiques et être plus éthiques, tout en restant attractifs.
Quels sont vos plus grands défis en tant que chefs ? Comment gérez-vous le stress et la pression dans un environnement aussi exigeant ?
Le plus grand défi, c’est de jongler avec toutes les casquettes : la créativité, la gestion de l’équipe, les plannings, les chiffres… C’est un métier qui demande une grande polyvalence. On apprend à prioriser, à s’appuyer sur une équipe solide. Le stress fait partie du quotidien, mais il est vite compensé par les moments de grâce : les retours des clients et les petites victoires invisibles de tous les jours.
Avez-vous une anecdote particulière ou un plat que vous avez préparé et qui a marqué une étape importante de votre carrière ?
Oui, on peut parler d’un dessert autour du miel qu’on avait créé à l’époque du premier ROZÓ, quand on était encore dans notre restaurant à Lille. C’était un dessert assez simple en apparence, mais très travaillé sur les textures, les températures et l’équilibre des goûts. Il a tout de suite eu un vrai succès, et on s’est rendu compte que beaucoup de clients revenaient pour lui. Quand on a déménagé, certains nous demandaient même s’il allait revenir à la carte.
On l’a retravaillé pour notre réouverture, et depuis, il est devenu un peu emblématique. Plusieurs clients nous ont dit que c’était “le meilleur dessert qu’ils aient mangé de leur vie” bien qu’on ai parfois du mal à croire ou à imaginer, mais c’est hyper touchant. Ça rappelle que la cuisine peut vraiment provoquer des émotions fortes et que parfois un plat peut marquer bien plus que ce qu’on pense au moment où on le crée.
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