Après le buzz ayant duré quelques semaines en ce début d’année, le mystère autour de 220 BPM, le nouveau restaurant du chef Jérémy Galvan, a été levé le 5 février dernier. Une grande attente a accompagné l'ouverture de cette nouvelle table, dont l’expérience immersive repose sur un véritable scénario, créant ainsi une toute nouvelle façon de concevoir le repas, où nature, mémoire et surprise se mêlent.

Photo Thibault Manuel
Jérémy Galvan : “Ici on questionne tout ce qui se fait dans un restaurant”
Le chef Galvan nous a expliqué les principes de sa nouvelle aventure entrepreneuriale et gastronomique immergée dans la forêt sauvage.

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La genèse de 220 BPM
Lyonnais d’origine haut-savoyarde, Jérémy Galvan a commencé un parcours culinaire traditionnel en 1998, avant de découvrir une grande passion pour le spectacle vivant. “Quand j’ai découvert la mise-en-scène, je me suis dit : j'aimerais construire le moment du repas comme un spectacle, avec en plus la dimension du goût”, raconte-t-il. Dans son établissement étoilé du vieux Lyon, il proposait déjà une expérience gustative forte, qui cassait les codes du restaurant traditionnel. Poussé par l'envie d’aller plus loin, en 2024 il a décidé courageusement de remettre son étoile et a transformé son restaurant en bistrot, devenu le Contre-Champ, pour enfin se dédier au projet qu’il avait en tête depuis des années. Il a voulu construire à zero son nouvel établissement : “quand la première pierre du bâtiment de 220 BPM a été posée, je pensais déjà à ce que le client allait vivre à la fin”.
Le nom du restaurant fait référence au battement de cœur intense, symbolisant une expérience proche de la mort imminente ou de la transe chamanique. “Les gens qui les ont expérimentés en reviennent avec une nouvelle vision de la vie.” De la même façon, l’idée est ici de provoquer une nouvelle perception de la gastronomie, par l’émotion : “Je voudrais que quand il repart d’ici, le client se dise : maintenant j’aurai une autre façon de ressentir l’émotion culinaire”, explique le chef.
Inspiré par toute une lignée de chefs espagnols qui ont poussé les limites de l’expérience gastronomique, Jérémy Galvan a voulu se détacher des codes du restaurant gastronomique traditionnel, pour mener un questionnement différent. "Comment générer l’émotion pure ? Le sauvage, la nature, le ressenti pur de l’enfant : voici ce qui est important pour moi” : ces éléments sont les points de départ de sa nouvelle aventure.

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Au restaurant, comme au théâtre
Le parcours client, étudié comme un véritable scénario, a été écrit à quatre mains par Jérémy Galvan avec sa compagne Rachel, qui l’accompagne dans l’aventure de 220 BPM en salle. Rendez-vous place Bellecour, en plein centre de Lyon. Après avoir placé votre téléphone dans une boîte, vous serez accueilli dans une navette, les yeux bandés. Le long du trajet vers un lieu inconnu, vous écouterez une bande sonore, en guise de transition vers la prochaine mystérieuse étape de ce voyage vers l'inconnu. Les yeux seront libérés une fois arrivés à destination, pour qu'ils puissent profiter d’une “mise en scène” à la scénographie d’exception : une bâtisse en bois brûlé signé Paul Coudamy (Coudamy Architectures) et Maude Cucinotta (Studiotopie), située au milieu d’une forêt sur les Monts du Lyonnais. “Quand vous arrivez ici, vous êtes dans un sas de décompression essentiel pour pouvoir vivre cette expérience : vous aurez laissé votre vie, vos soucis, votre travail, tout, place Bellecour”, explique le chef.
Le restaurant est vivant, en mouvement : 220 BPM a des murs qui respirent, il se dévoile petit à petit. Ce lieu a son propre battement de cœur. L’entrée se fait par un escalier en mouvement, dont le plafond représente un champ de blé renversé “qui nous rappelle l’état d’enfance, quand on traverse en courant les champs de blé, sauf qu’ici on le fait à rebours”, précise Galvan. Le client a l’impression d’être observé par la forêt, la nature sauvage et puissante respire autour de lui, de la déco à l’assiette. Riche en parfums et saveurs, à la fois merveilleuse et brutale, elle accueille le convive et l’accompagne tout au long d’un parcours qui joue sur les perceptions et sur l’inattendu.
Un voyage introspectif dans le goût
Au coeur de cette expérience introspective il y la cuisine de Jérémy Galvan, fil rouge qui accompagne ce voyage sensoriel. Le client est invité à découvrir plusieurs “séquences”, pour un total d’une trentaine de créations, animées par des chorégraphies crées en cuisine ou en salle, pour une durée de trois heures. Pas de carte ici, les créations ne sont pas présentées avant la dégustation, “pour éviter que le mental vous amène déjà ailleurs”, explique le chef. “Si je vous présente une création en vous dévoilant ses composants, vous partirez dans vos souvenirs, dans vos empreintes. Au contraire, quand vous ne savez pas ce que vous mangez, la sensation que vous allez avoir en bouche peut vous amener dans un voyage gustatif inédit, qui puise dans le souvenir, mais se concentre sur le présent”.
Jérémy Galvan réinvente des ingrédients traditionnels, en expérimentant avec de nouvelles sensations en bouche. Par exemple, il utilise la laitance de poisson pour créer un plat surprenant : “Si on la blanchit dans sa poche, on obtient une texture proche à celle du ris de veau, mais avec un goût de poisson très prononcé. Elle est ensuite glacée avec un jus de sapin caramélisé, accompagnée de tuiles de lichens soufflées et avec une émulsion de jus de piment et herbes sauvages, acide et un peu sucré”. Le résultat, gourmand et fin, mêle les saveurs de la forêt au goût iodé de la laitance. “Quand on enlève le filtre du mental, les saveurs nous amènent parfois dans des endroits du souvenir presque refoulés”, conclue le chef.
“Chez 220 BPM on questionne tout ce qui se fait dans un restaurant”, principe que Galvan suggère également à ses collaborateurs. “Quand ils commencent à travailler ici, je leur explique qu’il faudra faire tabula rasa pour partir sur autre chose. On n’ouvrira jamais une bouteille devant un client, on n'utilisera jamais un couteau et une fourchette pour couper, on va rebalayer les cartes et les habitudes du repas traditionnel”. Chez 220 BPM, les équipes sont habillées en chasseurs-cueilleurs, sans distinction entre le personnel de cuisine et de salle, tout le monde prend part à la mise-en-scène.

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Un restaurant en mouvement
Le goût et la qualité de l’offre culinaire ont la priorité pour le chef, sans compromis, avec l’objectif de pousser le client à se questionner sur ce qu’il mange et de le sensibiliser au respect de la nature. 220 BPM est un restaurant locavore et le miroir de l'extérieur : actuellement le paysage est hivernal, les arbres sans feuilles on un air spectral, avec le printemps il va redevenir vivant. “Le paysage qui accueille 220 BPM va évoluer en permanence et mes créations aussi. Ici tout se renouvelle, comme la nature, en permanence. L'offre du restaurant sera en mouvement, ce lieu est vivant”.
Jusqu’ici, le restaurant a accueilli une clientèle sensible à la haute gastronomie, ouverte aux expériences qui touchent tous les sens. “Qui vient ici ne s’attend pas à l’expérience traditionnelle du restaurant étoilé, mais plutôt à découvrir d’autres chemins, sans apriori”. L’expérience de 220 BPM peut être clivante, intense. Les gens sont secoués, ont souvent besoin de “digérer” l’aventure avant faire un retour aux équipes. “Nous avons vu des pleurs d’émotion et reçu beaucoup de mots et des mails d’amour, qui nous ont beaucoup touchés. J’essaie de prendre du recul pour me nourrir de cela, parce que quand on travaille durement, c’est facile de perdre de vue l’essentiel, qui est le ressenti des gens”, ajoute Jérémy Galvan.
Pour lui, 220 BPM est déjà une réussite : “C’est la totale liberté dans mon travail. C’est d'avoir été capable à quarante et un ans de déposer mon étoile. Je ne sais pas si le Michelin va me suivre dans ce projet, parce qu'on va loin dans l’innovation. La vraie réussite est d’être libre, pour proposer un autre regard sur la gastronomie, une autre possibilité pour amener les émotions aux gens”. Longue vie à 220 BPM, à ses évolutions et à sa nature en mouvement.
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