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Crédit : 11h45

Saviez-vous que la seule femme cheffe sushi étoilée au monde était à Paris ? Rencontre avec Chizuko Kimura

C’est une première mondiale qui résonne comme un bouleversement dans l’univers très codifié de la haute gastronomie japonaise.

Chizuko Kimura, cheffe du restaurant parisien Sushi Shunei à Paris, devient la première femme de l’Histoire à être étoilée par le Guide Michelin en tant que cheffe sushi. Un honneur inédit, symbole d’un tournant aussi bien culturel que personnel, pour celle qui n’avait jamais envisagé une carrière en cuisine avant de reprendre, à la disparition de son mari, le flambeau de leur rêve commun. Dans cette interview exclusive, Chizuko Kimura revient avec sincérité sur son parcours hors normes, les défis qu’elle a dû relever, et l’héritage qu’elle fait vivre au quotidien derrière le comptoir de Sushi Shunei.

Votre parcours est atypique : de guide touristique à cheffe sushi étoilée. À quel moment avez-vous su que le sushi deviendrait votre vocation ?
Cela a été une surprise totale pour moi, je n’avais jamais pensé devenir cheffe un jour. Lorsque la pandémie a fait que je n’ai plus pu exercer mon travail de guide touristique, j’ai commencé à aider mon mari pour l’ouverture de son restaurant. Je me suis retrouvée en cuisine sans ne jamais l'avoir imaginé. Puis, à sa disparition, je n’ai pas eu le choix : il m’avait demandé de continuer son aventure et c’est donc à ce moment-là, en tenant la promesse que je lui ai faite, que j’ai commencé mon parcours de cheffe sushi.

Quelles ont été les étapes les plus marquantes de votre apprentissage aux côtés de votre mari, le chef Shunei Kimura ?
En 2015, Shunei a été diagnostiqué d’un cancer très grave. Il a frôlé la mort. Et pourtant, il a décidé d’ouvrir Sushi Shunei en 2020, tout en poursuivant ses séances de chimiothérapie. L’ouverture du restaurant a été retardée d’un an à cause du Covid, et a finalement eu lieu en 2021. Comme il était diminué et que j’avais du temps libre, j’ai commencé à l’aider. Chaque jour à ses côtés a été un apprentissage. Même malade, Shunei n’a jamais cessé de transmettre. Avec le recul, je pense que si la maladie n’avait pas été là, je n’aurais pas appris aussi vite, et surtout je n’aurais sûrement jamais commencé dans cette voie. Il m’a appris que tout est possible dans la vie, et pas seulement pour les femmes. Il n’a jamais cessé d’y croire. Il a fini par réaliser ses deux rêves : ouvrir un restaurant de sushi edomae à son nom à Paris, et obtenir une étoile Michelin. Il a reçu cette étoile à 65 ans, trois mois avant son décès. Jamais il ne s’est plaint, et aucun client n’a jamais su qu’il était malade. Alors oui, peut-être que cela semblait impensable qu’à 50 ans, je débute une carrière de cheffe sushi sans avoir jamais cuisiné auparavant. Et peut-être aussi que cela semblait improbable de récupérer l’étoile deux ans après l’avoir perdue. Mais ce que Shunei m’a transmis, c’est la foi dans le travail et dans la détermination. Si l’on s’accroche, si l’on croit à ce que l’on fait, tout devient possible. C’est cela, le plus grand apprentissage.

Quels ont été les plus grands défis à relever en vous formant dans un univers historiquement masculin ?
Il est vrai que dans le monde du sushi, il y a encore très peu de femmes. Mais je n’ai jamais cherché à me battre contre ce système. J’ai simplement choisi de faire mon chemin, à ma manière, en me concentrant sur le travail, sur l’authenticité de notre cuisine, et sur l’expérience que nous offrons à nos clients. Le plus grand défi, finalement, ce n’était pas de convaincre les autres, mais de croire en moi-même.Je n’avais jamais cuisiné professionnellement, je n’avais pas la légitimité des années d’apprentissage. Et même si être une femme dans ce milieu n’est pas courant ni au Japon ni en France, je ne pouvais juste pas abandonner. J’avais une promesse à tenir. Je ne me suis pas posé la question de ma place. Je me suis juste levée tous les matins pour travailler.

Vous êtes la première femme au monde à être étoilée en tant que cheffe sushi par le Guide Michelin. Qu’avez-vous ressenti en recevant cette distinction ?
J’ai pensé à lui, à Shunei. J’ai senti, au fond de moi, que je n’avais pas trahi sa mémoire. Pour moi, ce n’est pas une étoile nouvelle, c’est l’étoile de Shunei que j’ai réussi à récupérer. Je n’ai fait que continuer ce que nous avions commencé ensemble. Cette récompense, c’est la preuve que son rêve continue de vivre, comme il l’avait souhaité avant son décès.

Cette étoile symbolise une évolution dans le monde du sushi. Pensez-vous qu’elle puisse inspirer d’autres femmes à embrasser cette voie ?
Je l’espère. Pas seulement pour les femmes, mais pour toutes celles et ceux à qui on a dit un jour que c’était trop tard, ou impossible. Je pense souvent à Mei Kougo au Japon, qui est très talentueuse. Il n’y a pas de raison qu’elle n’ait pas bientôt, elle aussi, son étoile. Le talent n’a pas de genre, seulement du travail et du courage. Et si l’on parle de courage, alors ce n’est pas le fait que je sois une femme qui est exceptionnel dans l’histoire de Sushi Shunei, mais plutôt le fait que Shunei ait décidé en ayant un cancer, à 63 ans, de tout de même ouvrir son restaurant et d’obtenir une étoile Michelin 9 mois plus tard. À l’époque, personne n’a su ce qu’il avait réussi à faire tout en étant malade, alors je suis heureuse de pouvoir partager son histoire aujourd’hui.

Après avoir retrouvé l’étoile, quels sont vos objectifs pour Sushi Shunei dans les années à venir ?
D’abord, la conserver. Ce n’est pas une fin, c’est une responsabilité. Ensuite, je dois continuer d’apprendre : je fais encore des stages au Japon auprès de grands chefs, afin d’améliorer ma technique. Je veux que les clients sentent que l’on progresse perpétuellement et qu’ils soient à chaque fois plus satisfaits de leur moment chez nous que la fois précédente.

Vous avez repris le restaurant en hommage à votre mari. Comment conciliez-vous la fidélité à son héritage et votre propre identité culinaire ?
Je ne cherche pas à me différencier de lui. Mon identité s’est construite à travers ce qu’il m’a transmis. Mais naturellement, certaines choses évoluent. J’ai aussi changé le matériel pour la cuisson du riz et retravaillé la recette pour trouver un équilibre encore meilleur. C’est une manière douce d’ajouter ma touche, sans trahir l’esprit de Shunei.

Je me dois chaque jour d’essayer de tout améliorer, que ce soit le lieu, la cuisine ou le service. Il n’y a pas de limites et j’ai par exemple remplacé le comptoir du restaurant qui était arrivé au bout de son chemin par une version à l’identique en hinoki, bois japonais utilisé dans les restaurants de sushi de haute qualité au Japon.

Comment sélectionnez-vous les produits qui entrent dans la composition de vos sushis ? Avez-vous une approche particulière dans le choix des poissons et des ingrédients ?
Je travaille en fonction des saisons, comme au Japon. Chaque poisson a un moment parfait, et je cherche toujours à le trouver. Je suis en lien quotidien avec mes fournisseurs - rien n’est laissé au hasard. Il ne suffit pas que le produit soit bon, il faut qu’il soit juste.

Le restaurant met en avant un savoir-faire traditionnel. Avez-vous aussi des touches personnelles qui réinventent certains aspects de la cuisine sushi ?
Oui, mais toujours avec humilité. Le sushi ne se réinvente pas, il s’honore. Parfois, j’apporte des variations délicates, dans les assaisonnements et toujours de nouvelles recettes dans les tsumamis, petites entrées servies au début du repas. C’est une cuisine de l’instant, donc chaque détail compte.

L’expérience du sushi est autant gustative que sensorielle. Que souhaitez-vous que vos clients ressentent lorsqu’ils s’installent au comptoir de Sushi Shunei ?
Je souhaite que nos clients puissent avoir l’impression de passer un moment comme s’ils étaient au Japon, sans avoir à voyager jusque là-bas. Bien sûr, il est très important pour moi qu’ils prennent du plaisir, et que cela leur donne envie de revenir !

Votre restaurant est situé à Montmartre, un quartier emblématique de Paris. Quelle relation entretenez-vous avec cet environnement, et en quoi influence-t-il l’expérience proposée ?
Pour être tout à fait honnête avec vous, Shunei avait choisi d’ouvrir Sushi Shunei à Montmartre car c’était à côté de notre appartement, et que cela lui évitait de trop se déplacer, ce qui était devenu compliqué pour lui physiquement à la fin de sa vie. Montmartre, pour nous Japonais, symbolise Paris de la meilleure des manières et c’est pour cela que nous avions choisi d’y vivre.

La culture japonaise accorde une grande importance aux rituels autour de la gastronomie. Y a-t-il un rituel particulier auquel vous tenez particulièrement au sein du restaurant ?
Bien sûr, la ponctualité est importante au Japon et arriver en retard a un impact non seulement sur l’équipe du restaurant mais surtout sur les autres convives qui partagent ensemble le comptoir. En début de service nous expliquons quelques gestes aux clients, pas pour imposer quoi que ce soit, mais pour les inviter à vivre pleinement le moment. Nous expliquons aussi le rôle du gingembre qui n’est pas là pour accompagner le sushi, mais pour nettoyer le palais entre deux bouchées. Nous expliquons qu’ils peuvent manger le nigiri avec les doigts, que ce n’est en aucun cas un manque de respect, au contraire. Et surtout, qu’il vaut mieux le déguster dès que le chef le pose, il doit être dégusté en quelques secondes au risque de perdre son équilibre s’il reste trop longtemps devant le client.

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